samedi 9 mars 2013

Rideau


Je suis sur la route... Peu importe le chemin que je prends, c'est écrit « cul de sac ». C'est un labyrinthe de bitume meublé de péripatéticiennes aguichantes à chaque coin de rue essayant de m'arrêter. Non, je continue ma quête! Quel étrange rêve! J'entends la voix de ma mère... Elle prie pour moi. Elle est triste de me savoir sans femme. Je crois qu'elle a peur que je ne puisse passer à travers ma vie seul. Je tourne un coin et voilà tous mes chums de gars qui me font signe d'arrêter de chercher. Ils ont tous une corde autour du cou et me supplient de faire demi-tour. Je les ignore aussi. J'aperçois des lumières arrivant en sens inverse, je ne contrôle plus le véhicule... tout s'accélère et... BANG! Plus rien.

Je me réveille en sursaut. Il fait beau et la maison est toujours aussi écho. Heureusement que j'ai mes bestioles. Un psy m'a déjà dit que dans la vie, les problèmes se manifestent quand nous omettons d'accepter notre sort ou d'agir pour le changer. Je suis en plein dedans. Ma peur de fréquenter et d'aimer est maintenant rendue aussi grande que celle de vivre seul. Je fais preuve d'un immobilisme total, je n'ai plus confiance et en lisant un article ce matin sur un jeune prêtre de 39 ans, je me dis que ma mission en ce bas monde est peut être autre que celle d'avoir une conjointe et une vie amoureuse normale... Ça pas d'allure! Moi, curé? Missionnaire? Moine?

Je suis toujours incroyablement impressionné par ma capacité d'apitoiement et d'auto-dramatisation de mon cas. On croirait Jérémie dans Lippy le Lion. Ah misère, Oh malheur!!! HAHAHAHA!

Je prends mes courriels... Hein? Wendy Carson!!! Tabarnak! Que de souvenirs sur cette blonde aux accents irlandais de Windsor en Ontario venue étudier le français à Québec en 1990. Un des mes anciens amis de Cégep me l'avait présentée lors d'un 5 à 7 au d'Auteuil et on avait jasé. En fait, elle était la chaperonne de la fille qu'il avait envie de baiser. Tombant sur moi par hasard et célibataire par-dessus le marché, j'étais une véritable aubaine. Dan Moisan, l'universitaire militant et elle, pionnière environnementaliste... Elle m'avait dit « I would love to work with the helpless in Africa », à quoi j'avais répondu - « Me too ». On s'était regardés et on s'est frenchés right on the spot! De loin, mon meilleur french à vie! D'ailleurs, à chaque fois que je voyais les carrés rouge manifester l'an passé, je pensais à Wendy. Combien de jeunes couples se sont formés dans la tourmente des manifestations, sublimant l'amour des âmes, de la chair et de la cause en un baiser si fort qu'il résisterait à l'adversité, au temps et aux matraques.

La soirée avait pas été facile avec Wendy. Pendant que l'autre s'envoyait en l'air à qui mieux mieux dans la chambre à côté, moi j'étais couché sur le plancher du boudoir avec cette idéaliste qui, je crois, pensait encore que les grarçons naissaient dans des feuilles de chou et les filles dans des pétales de rose... Elle était aussi pure que nulle au lit... Une pureté inégalable! Elle avait envie de me connaître et moi, à 20 ans, envie de me reproduire. Je commençais à être un amant potable, tout juste potable mais un amoureux pitoyable. Nous étions donc le yin et le yang, la belle et le bête. Son regard était si beau! Des yeux verts Dublinois et ses joues avec de minuscules taches de rousseurs, comme si un farfadet lui avait saupoudré de la cannelle en se servant du vent.

Avec tout ça, j'était dur comme le Gibraltar et elle molle et effrayée telle une gazelle rendant les armes sous les crocs d'un tigre affamé. Devant ce dépit, je fis marche arrière et lui dit - « It's alright... So let's talk » Je pense qu'elle était vierge car un condamné à mort que l'on gracie sur le bûcher, n'aurait même pas affiché cet air de soulagement.

C'était drôle car lorsque nos deux comparses sont sortis de la chambre avec une suffisance bien méritée, Wendy a fait son affranchie, de crainte que sa copine ne la prenne pour une nonne. Elle m'a regardé du coin de l'oeil et j'ai joué le jeu! Ma première et seule baise fantôme à ce jour. Et la pucelle devait retourner dans son patelin le surlendemain... je vais toujours me rappeler de cet instant aussi troublant que triste, les deux faux amants, devant le taxi qui s'impatientait. -« If I give you my number, will you call me? » et moi de répondre -  « No » - « Is it just because I did not sleep with you? » Le chien sale que je suis répondit - « No ». Fin de l'histoire. Le pire, c'est que le crétin que j'étais aurait probablement répondu la même chose après l'avoir baisée... La vie a réservé son corps à mieux, je l'espère.

Donc 23 ans plus tard, veux tu ben me dire kossé qu'à veut?

En gros, elle m'écrit qu'elle m'a reconnu dans un article d'un journal de Toronto sur mon groupe. Elle m'a googlé et m'a ainsi retrouvé. - « I will be in Quebec City tomorrow for a congress on the climatic changes. Would be cool to share a pint or two;-) » Ben oui! Wendy est devenue avocate et se bat contre les multinationales qui empoisonnent notre environnement. D'un coup elle m'en assène tout un. Où sont rendus mes rêves de justice quand la seule rectitude que je recherche, c'est celle d'avoir une guitare accordée en show? Ben... je fais la vaisselle aussi... Osti! Crisse que chu nul! Anyway, fais toi en pas Dan. Elle a probablement l'air d'une militante du Parti Vert. À doit être grosse, à doit pas se raser pis, végétarienne – car ça doit d'ailleurs être les seules graines qu'à doit manger - à doit puer de la gueule comme le calisse.

- « Why not? » lui dis-je. Toute excitée, elle me donne rendez-vous au Pub Galway, Irlande oblige.

Je sais pas pourquoi, je suis un peu nerveux. 23 ans se sont écoulés et j'ai encore l'impression qu'elle m'en veut... en tout cas, moi je m'en veux encore. J'entre et... Tabarnak!!!! Calisse!!!! Asti d'crisse!!!! As tu vu la chick? Elle a pas changé d'un poil et du poil, elle ne semble pas en avoir trop;-) Elle a l'air de tsé, l'énervante de torontoise au téléjournal qui est panneliste avec Frula pis les gogauche là? Malgré son air suffisant, la Taisha (je pense que c'est son nom) a un degré de fuckabilité assez élevé. J'ai donc la version Irish devant moi et ses yeux n'ont pas changé d'un iota.

On s'embrasse sur les joues et elle est aussi incrédule que moi. Un retour dans le passé difficile mais combien touchant. On s'étreint je la regarde et lui dit - «  Wendy, what an asshole I was... I don't know if it will worth something but I apologize sincerely » - « No problem Dan, I sincerely apologize to you for not having sex at all with a wonderful young man » Ah ben calvaire! À s'excuse de pas avoir baisé? Ça parle au y'âbe!!!

On se conte nos vies, c'est vraiment trippant. J'ai 20 ans encore et je suis privilégié. Elle a finalement, contrairement à moi, été faire sa missionnaire en Afrique... 3 jours. Elle est rentrée en catastrophe après s'être tout fait voler et s'être retrouvé dans un bureau au parlement congolais avec le ministre des affaires intérieures, à poil lui faisant des avances... Elle s'est dit qu'à la maison, bien des problèmes pouvaient se régler et qu'elle se trouverait sûrement plus utile en vie ici que morte dans un caniveau de Kinshasa.

Je lui ai raconté ma carrière de fou. Elle a ri. Je lui ai raconté ma vie amoureuse de fou. Elle a encore ri. Elle m'a parlé de sa vie amoureuse et là, elle ne riait plus. - « Dan, y'a une raison pour laquelle je voulais te voir. C'est à cause de mon psy. J'ai un blocage. Un blocage d'ordre sexuel. Je ne peux garder un homme dans ma vie. Je ne peux jouir » Ah ben viarge! « Et sous hypnose l'autre jour, je n'arrêtais pas de dire Daniel! Daniel! T'es le seul Daniel que j 'ai connu. Après avoir raconté notre histoire à mon psy, il m'a dit que je devais revisiter cet instant avec toi mais le refaire correctement... m'abandonner à toi» Bon... J'en reviens pas, je trouve ça débile et complètement farfelu mais j'ai quand même un début d'érection.

En grand penseur, j'acquiesse en me disant que ça va sûrement déboguer un de mes 36 349 nœuds psychologiques.

Elle m'emmène à son hôtel... j'men va la baiser... j'y offre tu de payer la moitié de la chambre? En tout cas, les verts, y'ont pas juste le gazon, y'ont les billets aussi!!!! Hilton calisse! J'espère qu'elle aime ça par en arrière dans la fenêtre... la vue est superbe! Pis me semble que baiser pendant que les soldats du 22e promenent leur chèvre pis jouent au GI Joe à la Citadelle de Québec, ça serait drôle.

La chambre est toute pavoisée de trèfles... ben oui, c'est la St-Patrick dans 2 jours!

- «  Wait for me honey «  me dit elle en se rendant à la salle de bains. Tabarnak!!!! Elle en ressort dans un kit cochon vert avec un petit chapeau haut de forme vert brillant... « Tadaaam! Happy St-Patrick's day!!!!» Je peux pas rire, elle est en thérapie. Je peux pas la rejeter non plus, ça l'achèverait. Les anglo-canadiens ont ce petit côté kitch incontournable. But she's so lovely. Elle part son ipod... Bon, Slade, groupe irlandais rock... c'est pas très sensuel mais ça a du beat. J'ai quand même déjà baisé sur YYZ de Rush donc je suis pas trop dépaysé.

Elle s'approche et joue le grand jeu. Trop, c'est comme pas assez. Je la regarde et ça va pas. J'ai le coup de foudre pour elle. En fait, je l'ai toujours eu. Je peux pas juste la baiser. Je la pleure déjà. Mais je peux pas gâcher le reste de sa vie. Moi je me trouve foutu d'avance alors sauvons ce qui est récupérable. Après tout, se sacrifier au lit n'a rien à voir avec les moutons qu'on égorge sur l'autel...

Elle dort encore et elle ronfle aussi. Ça me rassure. Pas de danger qu'elle me plaque en plein milieu de la nuit pour ça. Elle fait l'étoile dans son bustier vert qu'elle a conservé. On a baisé tout l'après-midi, toute la soirée et toute la nuit. Pis oui c'est drôle s'envoyer en l'air en regardant des casse noisettes promener une chèvre en jouant aux GI Joe! Elle ouvre les yeux, me sourit et les referme aussitôt. Elle me serre la main, je fais de même et rassurée, elle se rendort.

Un an ne suffirait pas pour raconter ces dernières 24 heures. Du son de sa voix à la douceur de sa peau, de son intelligence qui garde éveillé à la chaleur de son corps qui se fout des mois d'hiver, je n'ai d'autre choix que d'abdiquer, de baisser ma garde et d'avancer aveuglément car j'ai rencontré la femme de ma vie. Ah oui, en passant, elle est venue! Oui... et plusieurs fois!!!

Mais je n'étais que la béquille qui allait la propulser vers le reste de sa vie. J'ai les yeux plein d'eau en me rhabillant. J'ai l'impression d'avoir été une psycho escorte. Elle dort dur et son ronflement me donne l'impression d'être sourd à mes propres bruits... Je l'embrasse sur le front et lui laisse une note. - « I won't call you... because I love you. Sorry for that too. Good Luck. Dan xxx »

J'arpente la rue St-Jean, je pleure et je me dis que je suis né à côté du bonheur donc je le vois mais je ne l'atteint jamais. Il est à 1500 km de chez moi, il est à 10 ans, il est à 120 000$, il est partout sauf où il doit être. J'aimerais donc ça me mettre un carré rouge et calisser mon pied dans une vitrine, me faire arrêter pis que ça tourne mal. Au moins, j'aurais pas juste l'impression d'être en prison dans ma tête.

Un mois s'est écoulé depuis que j'ai prêté ma canne à quelqu'un pour qu'elle réapprenne à marcher LOL! Je suis toujours aussi reclus. Mon trip, en cette température clémente, est de tailler mon hydranger. Je me suis acheté un super coupe branches téléscopique aux USA. Je me dis finalement que promener une chèvre, ça doit être un peu plus divertissant... comme quoi, je suis né à côté du bonheur mais crissement pile sur le karma. Au moment où je me dis ça, y'a un militaire en Jeep qui me regarde en se disant « As tu vu le pédé qui taille son arbuste? »... c'est beau, c'est correct.

Faut pas que je pense à Wendy. J'aurais peut-être dû l'appeler. Si j'avais été autre chose qu'un bouche trou dans tous les sens du terme, elle aurait rappelé.

Mon chien jappe. Je lui dis de fermer sa crisse de gueule, je suis juché sur un tabouret à émonder cette minable œuvre d'art qui ne fait que passer le temps en nous récompensant dans sa superficialité l'été venu. De toute façon, habiter sur le chemin Ste-Foy emmène son lot de passants qui divertissent abondamment mon sympathique mais combien cave clébard.

Y'a quelqu'un qui marche sur mon terrain... un osti de camelot, un ex détenu ou un témoin de Jéovah... sûrement.

« Would you like to spend the rest of your life with an idealistic, kitch, english canadian and probably control freak Irish? »

Je voudrais ben m'étouffer mais je n'ai rien dans la bouche. Elle est là avec sa valise, tenant dans sa main une petite boîte feutrée... verte évidemment. On me demande en mariage calisse! Tsé, gagner le million sans avoir acheté le billet? Je file de même. Elle se met à genoux... Je n'accepte pas ça. Je la relève... osti qu'à sent bon! Ses yeux sont les miens, son corps est le mien. Nous sommes demain... J'ai les yeux plein d'eau et elle aussi.

Je la regarde et j'hésite... Crisse Dan! Assez niasé!

Je dis... OUI!

Merci!

Le Chien Perdu