Je suis sur la route... Peu importe le
chemin que je prends, c'est écrit « cul de sac ». C'est
un labyrinthe de bitume meublé de péripatéticiennes aguichantes à
chaque coin de rue essayant de m'arrêter. Non, je continue ma quête!
Quel étrange rêve! J'entends la voix de ma mère... Elle prie pour
moi. Elle est triste de me savoir sans femme. Je crois qu'elle a peur
que je ne puisse passer à travers ma vie seul. Je tourne un coin et
voilà tous mes chums de gars qui me font signe d'arrêter de
chercher. Ils ont tous une corde autour du cou et me supplient de
faire demi-tour. Je les ignore aussi. J'aperçois des lumières
arrivant en sens inverse, je ne contrôle plus le véhicule... tout
s'accélère et... BANG! Plus rien.
Je me réveille en sursaut. Il fait
beau et la maison est toujours aussi écho. Heureusement que j'ai mes
bestioles. Un psy m'a déjà dit que dans la vie, les problèmes se
manifestent quand nous omettons d'accepter notre sort ou d'agir pour
le changer. Je suis en plein dedans. Ma peur de fréquenter et
d'aimer est maintenant rendue aussi grande que celle de vivre seul.
Je fais preuve d'un immobilisme total, je n'ai plus confiance et en
lisant un article ce matin sur un jeune prêtre de 39 ans, je me dis
que ma mission en ce bas monde est peut être autre que celle d'avoir
une conjointe et une vie amoureuse normale... Ça pas d'allure! Moi,
curé? Missionnaire? Moine?
Je suis toujours incroyablement
impressionné par ma capacité d'apitoiement et d'auto-dramatisation
de mon cas. On croirait Jérémie dans Lippy le Lion. Ah misère, Oh
malheur!!! HAHAHAHA!
Je prends mes courriels... Hein? Wendy
Carson!!! Tabarnak! Que de souvenirs sur cette blonde aux accents
irlandais de Windsor en Ontario venue étudier le français à Québec
en 1990. Un des mes anciens amis de Cégep me l'avait présentée
lors d'un 5 à 7 au d'Auteuil et on avait jasé. En fait, elle était
la chaperonne de la fille qu'il avait envie de baiser. Tombant sur
moi par hasard et célibataire par-dessus le marché, j'étais une
véritable aubaine. Dan Moisan, l'universitaire militant et elle,
pionnière environnementaliste... Elle m'avait dit « I would
love to work with the helpless in Africa », à quoi j'avais
répondu - « Me too ». On s'était regardés et on s'est frenchés right on the spot! De loin, mon meilleur french à
vie! D'ailleurs, à chaque fois que je voyais les carrés rouge
manifester l'an passé, je pensais à Wendy. Combien de jeunes
couples se sont formés dans la tourmente des manifestations,
sublimant l'amour des âmes, de la chair et de la cause en un baiser
si fort qu'il résisterait à l'adversité, au temps et aux
matraques.
La soirée avait pas été facile avec
Wendy. Pendant que l'autre s'envoyait en l'air à qui mieux mieux
dans la chambre à côté, moi j'étais couché sur le plancher du
boudoir avec cette idéaliste qui, je crois, pensait encore que les
grarçons naissaient dans des feuilles de chou et les filles dans des
pétales de rose... Elle était aussi pure que nulle au lit... Une
pureté inégalable! Elle avait envie de me connaître et moi, à 20
ans, envie de me reproduire. Je commençais à être un amant
potable, tout juste potable mais un amoureux pitoyable. Nous étions
donc le yin et le yang, la belle et le bête. Son regard était si
beau! Des yeux verts Dublinois et ses joues avec de minuscules taches
de rousseurs, comme si un farfadet lui avait saupoudré de la
cannelle en se servant du vent.
Avec tout ça, j'était dur comme le
Gibraltar et elle molle et effrayée telle une gazelle rendant les
armes sous les crocs d'un tigre affamé. Devant ce dépit, je fis
marche arrière et lui dit - « It's alright... So let's talk »
Je pense qu'elle était vierge car un condamné à mort que l'on
gracie sur le bûcher, n'aurait même pas affiché cet air de
soulagement.
C'était drôle car lorsque nos deux
comparses sont sortis de la chambre avec une suffisance bien méritée,
Wendy a fait son affranchie, de crainte que sa copine ne la prenne
pour une nonne. Elle m'a regardé du coin de l'oeil et j'ai joué le
jeu! Ma première et seule baise fantôme à ce jour. Et la pucelle
devait retourner dans son patelin le surlendemain... je vais toujours
me rappeler de cet instant aussi troublant que triste, les deux faux
amants, devant le taxi qui s'impatientait. -« If I give you my
number, will you call me? » et moi de répondre - « No »
- « Is it just because I did not sleep with you? » Le
chien sale que je suis répondit - « No ». Fin de
l'histoire. Le pire, c'est que le crétin que j'étais aurait
probablement répondu la même chose après l'avoir baisée... La vie
a réservé son corps à mieux, je l'espère.
Donc 23 ans plus tard, veux tu ben me
dire kossé qu'à veut?
En gros, elle m'écrit qu'elle m'a
reconnu dans un article d'un journal de Toronto sur mon groupe. Elle
m'a googlé et m'a ainsi retrouvé. - « I will be in Quebec
City tomorrow for a congress on the climatic changes. Would be cool
to share a pint or two;-) » Ben oui! Wendy est devenue avocate
et se bat contre les multinationales qui empoisonnent notre
environnement. D'un coup elle m'en assène tout un. Où sont rendus
mes rêves de justice quand la seule rectitude que je recherche,
c'est celle d'avoir une guitare accordée en show? Ben... je fais la
vaisselle aussi... Osti! Crisse que chu nul! Anyway, fais toi en pas
Dan. Elle a probablement l'air d'une militante du Parti Vert. À doit
être grosse, à doit pas se raser pis, végétarienne – car ça
doit d'ailleurs être les seules graines qu'à doit manger - à doit
puer de la gueule comme le calisse.
- « Why not? » lui dis-je.
Toute excitée, elle me donne rendez-vous au Pub Galway, Irlande
oblige.
Je sais pas pourquoi, je suis un peu
nerveux. 23 ans se sont écoulés et j'ai encore l'impression qu'elle
m'en veut... en tout cas, moi je m'en veux encore. J'entre et...
Tabarnak!!!! Calisse!!!! Asti d'crisse!!!! As tu vu la chick? Elle a
pas changé d'un poil et du poil, elle ne semble pas en avoir trop;-)
Elle a l'air de tsé, l'énervante de torontoise au téléjournal qui
est panneliste avec Frula pis les gogauche là? Malgré son air
suffisant, la Taisha (je pense que c'est son nom) a un degré de
fuckabilité assez élevé. J'ai donc la version Irish devant moi et
ses yeux n'ont pas changé d'un iota.
On s'embrasse sur les joues et elle est
aussi incrédule que moi. Un retour dans le passé difficile mais
combien touchant. On s'étreint je la regarde et lui dit - «
Wendy, what an asshole I was... I don't know if it will worth
something but I apologize sincerely » - « No problem
Dan, I sincerely apologize to you for not having sex at all with a
wonderful young man » Ah ben calvaire! À s'excuse de pas
avoir baisé? Ça parle au y'âbe!!!
On se conte nos vies, c'est vraiment
trippant. J'ai 20 ans encore et je suis privilégié. Elle a
finalement, contrairement à moi, été faire sa missionnaire en
Afrique... 3 jours. Elle est rentrée en catastrophe après s'être
tout fait voler et s'être retrouvé dans un bureau au parlement
congolais avec le ministre des affaires intérieures, à poil lui
faisant des avances... Elle s'est dit qu'à la maison, bien des
problèmes pouvaient se régler et qu'elle se trouverait sûrement
plus utile en vie ici que morte dans un caniveau de Kinshasa.
Je lui ai raconté ma carrière de fou.
Elle a ri. Je lui ai raconté ma vie amoureuse de fou. Elle a encore
ri. Elle m'a parlé de sa vie amoureuse et là, elle ne riait plus. -
« Dan, y'a une raison pour laquelle je voulais te voir. C'est à
cause de mon psy. J'ai un blocage. Un blocage d'ordre sexuel. Je ne
peux garder un homme dans ma vie. Je ne peux jouir » Ah ben
viarge! « Et sous hypnose l'autre jour, je n'arrêtais pas de
dire Daniel! Daniel! T'es le seul Daniel que j 'ai connu. Après
avoir raconté notre histoire à mon psy, il m'a dit que je devais
revisiter cet instant avec toi mais le refaire correctement...
m'abandonner à toi» Bon... J'en reviens pas, je trouve ça débile
et complètement farfelu mais j'ai quand même un début d'érection.
En grand penseur, j'acquiesse en me
disant que ça va sûrement déboguer un de mes 36 349 nœuds
psychologiques.
Elle m'emmène à son hôtel... j'men
va la baiser... j'y offre tu de payer la moitié de la chambre? En
tout cas, les verts, y'ont pas juste le gazon, y'ont les billets
aussi!!!! Hilton calisse! J'espère qu'elle aime ça par en arrière
dans la fenêtre... la vue est superbe! Pis me semble que baiser
pendant que les soldats du 22e promenent leur chèvre pis
jouent au GI Joe à la Citadelle de Québec, ça serait drôle.
La chambre est toute pavoisée de
trèfles... ben oui, c'est la St-Patrick dans 2 jours!
- « Wait for me honey «
me dit elle en se rendant à la salle de bains. Tabarnak!!!! Elle en
ressort dans un kit cochon vert avec un petit chapeau haut de forme
vert brillant... « Tadaaam! Happy St-Patrick's day!!!!»
Je peux pas rire, elle est en thérapie. Je peux pas la rejeter non
plus, ça l'achèverait. Les anglo-canadiens ont ce petit côté
kitch incontournable. But she's so lovely. Elle part son ipod... Bon,
Slade, groupe irlandais rock... c'est pas très sensuel mais ça a du
beat. J'ai quand même déjà baisé sur YYZ de Rush donc je suis pas
trop dépaysé.
Elle s'approche et joue le grand jeu. Trop, c'est comme pas assez. Je la regarde et ça va pas. J'ai le coup de foudre pour elle. En fait, je l'ai toujours eu. Je peux pas juste la baiser. Je la pleure déjà. Mais je peux pas gâcher le reste de sa vie. Moi je me trouve foutu d'avance alors sauvons ce qui est récupérable. Après tout, se sacrifier au lit n'a rien à voir avec les moutons qu'on égorge sur l'autel...
Elle dort encore et elle ronfle aussi.
Ça me rassure. Pas de danger qu'elle me plaque en plein milieu de la
nuit pour ça. Elle fait l'étoile dans son bustier vert qu'elle a
conservé. On a baisé tout l'après-midi, toute la soirée et toute
la nuit. Pis oui c'est drôle s'envoyer en l'air en regardant des
casse noisettes promener une chèvre en jouant aux GI Joe! Elle ouvre
les yeux, me sourit et les referme aussitôt. Elle me serre la main,
je fais de même et rassurée, elle se rendort.
Un an ne suffirait pas pour raconter
ces dernières 24 heures. Du son de sa voix à la douceur de sa peau,
de son intelligence qui garde éveillé à la chaleur de son corps
qui se fout des mois d'hiver, je n'ai d'autre choix que d'abdiquer,
de baisser ma garde et d'avancer aveuglément car j'ai rencontré la
femme de ma vie. Ah oui, en passant, elle est venue! Oui... et
plusieurs fois!!!
Mais je n'étais que la béquille qui
allait la propulser vers le reste de sa vie. J'ai les yeux plein
d'eau en me rhabillant. J'ai l'impression d'avoir été une psycho
escorte. Elle dort dur et son ronflement me donne l'impression d'être
sourd à mes propres bruits... Je l'embrasse sur le front et lui
laisse une note. - « I won't call you... because I love you.
Sorry for that too. Good Luck. Dan xxx »
J'arpente la rue St-Jean, je pleure et
je me dis que je suis né à côté du bonheur donc je le vois mais
je ne l'atteint jamais. Il est à 1500 km de chez moi, il est à 10
ans, il est à 120 000$, il est partout sauf où il doit être.
J'aimerais donc ça me mettre un carré rouge et calisser mon pied
dans une vitrine, me faire arrêter pis que ça tourne mal. Au moins,
j'aurais pas juste l'impression d'être en prison dans ma tête.
Un mois s'est écoulé depuis que j'ai
prêté ma canne à quelqu'un pour qu'elle réapprenne à marcher
LOL! Je suis toujours aussi reclus. Mon trip, en cette température
clémente, est de tailler mon hydranger. Je me suis acheté un super
coupe branches téléscopique aux USA. Je me dis finalement que
promener une chèvre, ça doit être un peu plus divertissant...
comme quoi, je suis né à côté du bonheur mais crissement pile sur
le karma. Au moment où je me dis ça, y'a un militaire en Jeep qui
me regarde en se disant « As tu vu le pédé qui taille son
arbuste? »... c'est beau, c'est correct.
Faut pas que je pense à Wendy.
J'aurais peut-être dû l'appeler. Si j'avais été autre chose qu'un
bouche trou dans tous les sens du terme, elle aurait rappelé.
Mon chien jappe. Je lui dis de fermer
sa crisse de gueule, je suis juché sur un tabouret à émonder cette
minable œuvre d'art qui ne fait que passer le temps en nous
récompensant dans sa superficialité l'été venu. De toute façon,
habiter sur le chemin Ste-Foy emmène son lot de passants qui
divertissent abondamment mon sympathique mais combien cave clébard.
Y'a quelqu'un qui marche sur mon
terrain... un osti de camelot, un ex détenu ou un témoin de
Jéovah... sûrement.
« Would you like to spend the
rest of your life with an idealistic, kitch, english canadian and
probably control freak Irish? »
Je voudrais ben m'étouffer mais je
n'ai rien dans la bouche. Elle est là avec sa valise, tenant dans sa
main une petite boîte feutrée... verte évidemment. On me demande
en mariage calisse! Tsé, gagner le million sans avoir acheté le
billet? Je file de même. Elle se met à genoux... Je n'accepte pas
ça. Je la relève... osti qu'à sent bon! Ses yeux sont les miens,
son corps est le mien. Nous sommes demain... J'ai les yeux plein
d'eau et elle aussi.
Je la regarde et j'hésite... Crisse
Dan! Assez niasé!
Je dis... OUI!
Merci!
Le Chien Perdu
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