69. Quand je disais à mes amis mon
année de naissance, dès l'adolescence, j'avais l'impression d'être
affranchi, d'être plus déluré que les autres. Hormis l'inévitable
position sexuelle, le 69 représentait l'apogée du peace and love,
de l'amour libre, de l'âge d'or du sexe sans souci. Les 68 étaient
des révolutionnaires et les 70, des lendemains de veille en crise...
1969, c'était le top, point! Une fille que j'avais connue dans un
bar m'avait fait mon profil numérologique par rapport à mon année
de naissance. Je lui avais fait croire que ça m'intéressait... la
baiser m'intéressait en fait!
« Dan, 1+9+6+9=25. 2+5=7. Le 7 est le chiffre de la totalité, de la chance et de l'accomplissement. » Donc, je devrais la baiser si tout va bien? « Daniel, 6 lettres. 6+7=13. 1+3=4 » Oui!!!! à 4 pattes! Yes!!! « Le 4 est l'indice de la stabilité. Donc tu devras rechercher la stabilité dans sa totalité » Je l'ai évidemment pas baisée car elle s'est mise à me parler de ses chacras qui étaient en baisse les 8 du mois et qu'elle avait tendance à s'amouracher des 7... donc pas de position stable avec elle...
J'ai sûrement souffert d'un déficit
d'attention quelconque car plus que 10 chiffres sur une feuille et me
voilà perdu comme un ours polaire en pleine forêt amazonienne.
C'est la redoutable journée aujourd'hui. Celle des comptes. Celle où
je dois tout démêler sur Acces D. Je suis d'une insécurité
totale, ayant peur de me tromper de colonne ou de montant ou pire,
d'oublier un compte. Je vois double et me dis que si j'étais
ministre des finances, au moins on saurait pourquoi ça va mal. Y'a
pire quand même. Faire les comptes avec sa blonde... les femmes sont
à l'argent. Je me rappelle d'une ex avec qui on splittait l'épicerie
en deux. Pendant des années, j'ai payé son esti de café... Mais
pas question que mon déodorant à 3,63$ soit splitté en deux lui...
pauvre déodorant, y'a même pas demandé de venir au monde et encore
moins de visiter nos aisselles!
Ou bien la blonde qui, après un
copieux repas au restaurant, a une soudaine envie d'aller aux
toilettes au moment où la facture arrive. Moi, la plupart du temps,
j'ai payé plus... pas parce que je suis galant mais parce que
compter, les chiffres, ça m'énarve... J'achète donc souvent plus
la paix avec moi-même qu'avec la douce.
L'anxiété se chiffre pour moi. Que ce
soit en faisant un dépôt au guichet ou quand je remplis un billet
de 6/49... je me sens ZÉRO ou bien DEUX de pique, TROIS de trèfle...
mais somme toute, je n'ai rien des QUATRE as!
Peut-être bien que c'est pour ça que
je suis seul. DEUX et c'est déjà trop pour moi. Trip à TROIS?
Penses y même pas!
Bzzzzz! Bon! Mon cellulaire qui
m'appelle. C'est un texto. Quoi? C'est Sophie! C'est son numéro! Ma
Sophie! (Épisode Réseau Cons Tartes et suivants). Aurait-elle
oublié nos différends? « Allo mon beau » Tabarnak! Est
en forme! « On 5 à 7 ce soir? » - « Euh oui! Pub
Galway? » - « Parfait Dan. J'ai tellement hâte de te
voir! » - « xoxoxoxox » - « xoxoxoxoxoxoxoxoxox »
OK Dan. Relaxe. Je ne me peux plus! Dans cette grisaille de novembre,
c'est la meilleure chose qui pouvait m'arriver, c'est le soleil qu'on
ne voit pas mais qui réchauffe les sens. Un « spouiche »
de Hugo Boss et me voilà dans mon auto!
J'entre dans ce sympathique et
authentique pub irlandais de la rue Cartier. J'y bois toujours de la
Newcastle et y'a cette clientèle d'habitués avec qui il fait
toujours bon jaser.
Ah oui, c'est vrai, la belle barmaid...
Pocahontas en kilt! - « Comment va le beau Dan? » -
« Super bien! J'ai une date avec une super fille! Je suis
tellement content! » - « Ça fait longtemps qu'on t'a pas
vu de même. On la connaît? » - « Ahhhh!;-) » lui
dis-je sur un ton de devinette. C'est un peu décourageant de voir à
quel point une femme peut propulser notre humeur dans une zone de
confort qui frise l'inconscience. Enjoy pareil Dan!
Là, je vais boire modérément. Pas
question que je fasse tout foirer comme la dernière fois. Ouin! Je
vais faire mon indépendant. Pas question de lui lancer un « Je
t'aime » ben pacté. On recommence à zéro Dan. Je serai le
plus class! Sophie... ah Sophie! Née en 1984. 1+9+8+4 = 22.
2+2=...4!!!!! La stabilité! Sophie est ma stabilité!
Je regarde le match de foot à la télé
quand deux mains venant de l'arrière se placent devant mes yeux. -
« Coucou ti coco! » C'est qui ça calisse? Ça sent le
vieux parfum de guidoune mélangé avec la chique de gomme bazooka
qu'elle mâche bruyamment. Je me retourne. Ah, c'est Sonia. Une
vendeuse Amway de 47 ans que j'ai rencontrée à plusieurs reprises
dans des partys. À devait être belle mais là, comme dirait
l'autre, le passé est passé. Y lui manque juste du maquillage
perma... ah ben calvaire, elle en a! Est exactement comme un beigne
fourré chez Dunkin Donuts, tsé celui-là avec la crème ben
blanche, trop sucrée, pas mangeable...
Le Galway, c'est le spot à Sophie,
c'est pour ça que j'y vais presque plus. Mais ce soir, tel le Christ
qui rentre en vainqueur sous une pluie de rameaux à Jérusalem, je
retrouverai mon Galway et ma dulcinée! Mais le Messie était à dos
d'âne et mon âne là, c'est Sonia. « T'es toujours de plusse
en plusse beau toé. Les cougars y sont dans le champs avec leux tits
crisses de 20 ans. Y'en a des bens conservés tsé » me
dit-elle à deux pouces de la face. D'habitude, c'est à la fin du 5
à 7 que le monde pue de la gueule, n'ayant que bu et pas ben ben
soupé. Je pense que la Sonia, elle ferait pas long feu dans le
« Waste management » À doit pas s'être passée la soie
dentaire depuis son bal des finissants je crois... Je suis évidemment
distant mais je suis le miel et elle, l'abeille. « Envoye!
Déniaise! » me dit-elle en me poignant l'entrejambe sans
ménagement. « Chu pas venue icitte pour rien » De quoi à
parle? Osti! Sophie, c'est 2234... pas 2324! Ostie! J'ai une date
avec Sonia! Les crisse de chiffres!!!!! Pocahontas à commence à
catcher dans quel merde je me suis foutu.
J'essaie de me débattre du mieux que
je peux... Crisse, elle a de l'écume de chaque côté de la bouche
tel un chien enragé. - « Non Sonia! C'est un... un...
malenten... » - « Ta gueule! Embrasse moé! » Est
ben forte tabarnak! - « Heye! Lâche mon chum!!!! »
Semblant venir de nulle part, cet avertissement providentiel a fait
reculer la bisonne d'un mètre. On m'empoigne... c'est Pocahontas qui
me donne, je crois, le french kiss le plus intense de toute ma vie.
Sonia quitte en coup de vent en me traitant de tous les noms.
Presbyte que je suis, je me recule d'une douzaine de pouces afin
d'admirer celle qui m'a tiré du pétrin. Je pense pas que ç'ait été
très forçant pour elle, depuis le temps qu'elle dit qu'elle
aimerait ça un jour se taper un bonhomme... Je regarde ses yeux et
tout juste à côté de son visage vers l'arrière, d'autres yeux,
pleins d'eau. C'est Sophie! Elle s'approche... ça va pas ben là...
- « Assez trou de cul pour me chanter la pomme, de jamais me
rappeler, de se taper ma psy (épisode Family Freud) pis là, de venir
m'écoeurer avec le staff du pub! » me dit Sophie en quittant
violemment les lieux.
- « Bon, c'était drôle là Dan
mais j'ai des clients à servir pis tsé, mon nouveau chum est le
cook ici astheure » de dire Pocahontas...
J'ai jamais su compter mais avoir 3 fois son 4% en 5 minutes, c'est pas trop dur à comprendre.
- « Heu... c'est tu encore 2 pour 1? »
À plus!
Le Chien Perdu