La page blanche. Rien à dire, rien à
écrire depuis bientôt un mois. Rien ne m'amuse et je suis sans
muse. Je gobe ma capsule d'oméga 3. Moi qui déteste le poisson car
ça a beau être des gellules, calisse, ça se défait rendu dans les
tuyaux et je te rote ça... C'est pas mêlant, j'ai une haleine de
chat! Le printemps a tôt fait de fourbir en feuilles tous mes arbres
ce qui fait que je peux au moins vivre ma déchéance créatrice en
toute intimité.
Bon, ça jappe! Je vais voir ce qui se
passe en avant. C'est encore Ali, qui s'insurge contre la gente
piétonnière. Oh! Celle-là, ma foi... elle est nouvelle. Elle
marche, l'air pressée avec sa belle robe à pois et ses escarpins
rouge... on dirait Rita Toulouse dans Les Plouffe. Elle tient contre
elle un porte-documents. Il est usé et ne semble plus fermer depuis
un moment. En sortent des bouts de papiers qui traduisent une
frivolité et une insouciance évidente chez cette jeune femme. J'ai
le fixe et soudainement, elle se retourne et croise mon regard voyeur
dans la fenêtre... merde! BANG! Son inattention lui vaut de se faire
percuter par un Yo en skateboard.
Tout vole dans les airs, de la planche
à roulettes à ses lunettes (c'est sexy des lunettes), en passant
par une tempête de flocons format 8 et demi par 11! Je ne fais ni un
ni deux et vole à son secours. « Vous allez bien? » lui
dis-je en remarquant un parfait mollet dont le bas nylon s'est
effiloché. - « Oui, oui » me dit-elle, totalement
contrariée et littéralement obsédée par tous ces papiers
éparpillés, son véritable trésor devrais-je dire. Je comprends
son non verbal et m'affaire à tout ramasser rapidement à ses côtés.
Des textes annotés et raturés en
violet. Quelle drôle de couleur. Je l'entends soupirer de
satisfaction... pourtant, je ne l'ai pas dans mes bras?!? « Ah
Nunuche! Qu'aurais-je fait sans toi? » J'ai rarement vu
quelqu'un parler à sa plume mais comme dirait un assimilé
Facebook : Check! « Merci! me dit-elle timidement en
prenant ses jambes - ce qu'elles sont belles! - à son cou. Elle a un
accent français. Pendant ce temps-là, l'imbécile de Yo filme le
tout sur son IPhone, incluant le sang qui s'écoule de son coude...
et je l'entends grogner - « Hein man! c'est chill... je sâgne
genre full! »
Une autre rencontre où une beauté
n'aura fait que passer... je retourne dans mon incertitude et mon
insécurité... Ça fait trois messages que mon éditeur me laisse...
- « Pis mon Dan? T'es rendu où? Toujours prêt à me livrer
ton manuscrit le mois prochain? » Mon royaume pour une muse pis
ça presse en crisse. Je rentre chez moi et le reflet du soleil
illumine un petit rectangle blanc au sol. C'est une carte
d'affaires... Annette La Feuye, correctrice... et d'une beauté...
bon! Calmons nous! Je m'installe à mon bureau en contemplant la
relique de cette inopinée collision interstellaire. Me v'là qui
fantasme... C'est drôle être un artiste qui s'assume car quand tu
te connais, tu te contentes de regarder les bateaux passer et de pas
embarquer dedans systématiquement. Ah mais ça serait le fun
pareil... tsé, genre... Je pars tu à sa recherche? Non...
Bon... ça doit ben faire une heure que
je la google pis j'ai pas trouvé grand chose, si ce n'est une photo
d'une réception au consulat de France. Pis le crisse de web!
T'essaye de zoomer pis la photo est dégueu. Mon cerveau est obligé
de faire le reste face à cette éventuelle beauté pixellisée.
J'entends de l'accordéon musette et goûte le vin rouge assis à un
bistro... la voilà qui arrive à vélo, tsé, le vélo avec le petit
panier en avant! J'arrive pour lui parler... incapable! Je suis
Marcel Marceau. J'ai beau lui mimer tout mon amour, osti, elle me prend
pour un amuseur public et tombe dans les bras d'un pédant à
l'écharpe violette et au toupet à la Tintin. Tabarnak, même dans
mes fantasmes, je l'ai plus. Faut que je décrisse! Je vais aller
écrire en ville!
J'arrive au Pub Galway. Je veux boire
de la Newcastle pis y'a des coins sombres là-bas où je serai à
l'abri pour créer. J'entre et je vois une table inondée de papiers
biffés à l'encre...violacée! ah ben calvaire! Y'a personne
d'assis. Je fais quoi? Je m'en vais? Je l'aborde? Je m'asseois où?
Pas le temps de réagir qu'elle me croise lunatiquement en me
dévisageant à peine. Yves le proprio est là... zut!
- « Bon l'artiste à Moisan! On
te voit plus, le gratteux de guitare? T'es venu rejoindre la nouvelle
martienne? » en pointant la beauté rare du doigt. Là, on a
toute son attention. Elle soupire en regardant ces immatures que sont
les hommes que nous sommes. Elle me dévisage et me reconnaît.
- « Drôle de hasard! Et dire que j'aurais pu vous remercier convenablement mais j'étais attendue. Vous venez souvent ici? » En me disant ça, elle enlève sensuellement ses lunettes et me voilà reparti!
- « Drôle de hasard! Et dire que j'aurais pu vous remercier convenablement mais j'étais attendue. Vous venez souvent ici? » En me disant ça, elle enlève sensuellement ses lunettes et me voilà reparti!
Je pense à ça, j'ai jamais fait ça avec une française. Une correctrice en plus. Je peux pas lui dire genre « J'va venir » ou ben « t'es tu venue? ». Mais « j'vais jouir » ou « Tu la sens bien là? » ça fait un peu 37,2 le matin. Fais le mime Dan pis respire fort à place...
« Et... vous faites quoi dans la
vie? »
- « Moi, heuuu... bien, je suis
t'auteur » Ah calisse, j'ai fait une mauvaise liaison!
« heu, oui, je veux dire tôt ou
tard, vous me l'auriez demandé. Donc je suis Daniel L. Moisan,
auteur et musicien. Et vous? »
- « Moi je suis correctrice » Quel sourire! Et quel body racing!« Je m'appelle... »
- « Annette La Feuye, je vous ramène votre carte... » lui dis-je avec l'assurance d'un James Bond. Son regard la trahit et elle craque. Elle reprend rapidement et maladroitement sa carte entre mes doigts... AYOYE!!!!!
- « Moi je suis correctrice » Quel sourire! Et quel body racing!« Je m'appelle... »
- « Annette La Feuye, je vous ramène votre carte... » lui dis-je avec l'assurance d'un James Bond. Son regard la trahit et elle craque. Elle reprend rapidement et maladroitement sa carte entre mes doigts... AYOYE!!!!!
Osti! Vous savez, la tite peau entre
les doigts? C'est coupé pis ça saigne pas à peu près! Je m'éponge
du mieux que je peux tout en essayant de rester zen. Elle me regarde
et devient livide. BANG! Elle tombe dans les pommes... Là, toute la
gang de piliers de bars avinés semblent prêts à lui donner le
bouche à bouche mais c'est moi le plus près. Je prends ma veste et
en fait un oreiller. Je lui parle tout bas et : 1. à sent bon
en crisse et 2. j'ai vraiment envie de l'embrasser. Je lui flatte le
front à la place et lui dit que tout va bien jusqu'à l'arrivée des
ambulanciers à qui je dis de faire très attention à ses trésors
remplis de biffes aux traits délicats... Elle ouvre les yeux et me
regarde, une larme glissant sur sa joue. On dirait qu'elle me dit
adieu.
Ça fait maintenant 2 mois qu'Annette
et moi parlons sur le web. Non, elle vit toujours à Québec. Elle ne
peut me voir. Le choc post-traumatique associé à sa peur du sang
fait qu'elle s'évanouit dès qu'elle m'aperçoit. C'était pour ça
l'encre violacée... elle ne peut tolérer le rouge en version
liquide. On s'entend bien par contre mais on se parle moins depuis
qu'elle a rencontré un certain... Tristan, jeune français
d'adoption, foutu métrosexuel au toupet de Tintin et à l'écharpe
mauve... crisse!
« Mime » de rien, toujours
rien dans mes pages... Osti le téléphone! C'est mon éditeur!!!!!!
À plus!
Le Chien Perdu