samedi 17 novembre 2012

Égocentraide


Dimanche matin... le lever du corps est dur ! Pas de grasse matinée pour Dan puisque j'ai promis d'aller à un déjeuner bénéfice pour mon amie Chantal. C'est tranquille ce weekend... Il a fait très froid cette nuit et, en prenant mon jus d'orange, je pense à ceux dont c'est dehors la maison. Des chiens plus que perdus, dépressifs, désinstitutionnalisés ou tout simplement démotivés. La semaine dernière, en allant au bureau de poste sur Saint-Joseph, je croise cet homme d'une soixantaine d'années, infirme, qui se tient debout sous le porche des immeubles ou bien sur le trottoir. Il a une chaîne dans la main et a l'air de réciter un chapelet. Nos regards se croisent et il sort momentanément de son mantra pour me dire « Bonne chance ». Ça me touche car ma pire des malchances de jeune bourgeois est cent fois mieux que la meilleure de ses chances. Je décide d'aller lui acheter un café.

Je ne bois pas de café et chaque endroit, que ce soit Tim, Starbucks ou la brûlerie du coin, semble avoir son rituel que j'ignore. Certains offrent le self-service, les autres nous préparent tout. Le gars me donne un verre et je le regarde comme un débile léger qui attend la suite, incapable de quelque proaction. -  « Euh, je ne bois pas de café, c'est pour quelqu'un... » Crisse, on dirait que j'achète des condoms ou bien un onguent gênant genre un traitement pour les poux. Le jeune commis qui semble avoir sa journée dans le corps, me montre impatiemment les distributrices. Mais crisse! Y'a 8 sortes esti! Capuccino, latté, régulier, corsé, cosci, corça!!! Il me pointe un compromis mais j'appuie moi-même sur le bouton, question de ne pas me laisser infantiliser davantage. Mais le sans abri, y prend tu du sucre, du lait? Je me surprends à avoir une pensée méprisante d'aisé qui se dit que le pauvre homme aura le café qu'il aura... Dan! Comment oses tu? OK, je vais lui offrir un super café. Je mets un peu de sucre, de la crème et tiens donc, du chocolat en poudre, genre, dans un truc en métal. Je saupoudre fièrement et hume ce... crisse de tabarnak! C'était de la cannelle... calisse... Je prends le guess d'y aller comme ça, pas parce que je suis gratteux mais parce que le gars du café, j'y aime pas la face et je crois que lui, aime encore moins la mienne.

Je marche avec des sentiments mixtes. Celui de la fierté d'aider quelqu'un et celui de pas trop vouloir que ça paraisse car tsé, chu pas en campagne électorale esti. Maudite affaire! Je le trouve plus. Je marche, un café à la main et j'ai le sentiment d'avoir un corps étranger... Quel con. Ah le voilà! Il était caché dans une de ces minuscule entrées d'immeuble où il fait si bon se réfugier lorsque la pluie bat violemment sur le bitume. Je lui remets le café et il sourit, tout gêné. Je ne m'attarde pas et en me retournant, mon regard croise celui d'une jolie mais foutue pétasse qui me dévisage d'un air snob et condescendant avec un fond de surprise. Ben oui, belle nouille, des sans-abris... jamais vu un être humain normal interagir avec eux? Sors de ton cottage à Sillery...

Donc, dimanche matin et je suis sous la douche... ah pis j'ai fait ma moumoune cette semaine. J'ai acheté du Dove Men Care. Ouin... du gel douche pour homme... assez fort pour elle mais con comme lui ;-) J'avoue qu'il y a une certaine sensation de compensation à s'acheter des trucs pour soi et je comprends que cette industrie du cosmétique soit si lucrative. Soyez bien dans votre peau! Parce que je le vaux bien! Allez-y, gâtez-vous! Non, ça c'est de la poutine... LOL! Bon, trève de réflexion sur les attentions « à moi de moi », v'là que le moi, y va être en retard.

Le parking est bondé. Ça pogne les déjeuners bénéfices. Pis d'habitude, c'est riche et gras comme menu... comme quoi notre écart culinaire se justifie et se déculpabilise par notre philantropie humanitaire. Y'a une méchante file pis chu gêné un peu, étant seul. Je regarde personne. Juste un endroit où je pourrai m'installer, une fois servi. Bon, je vois des jeunes familles. Eux, y me font chier en tabarnak. Y'ont leurs bébés tout le temps, y sont en couples pis y'ont l'air de se taper sur les nerfs. Y'ont rien compris et dans la vie, quand tu comprends, habituellement, y'est trop tard. Si tu veux savoir la valeur absolue de quelque chose, demande toi si t'as besoin de prendre une bière avec. « Ah, j'ai la garde de mes enfants ce soir, je m'achète une douze » Tu vois ben que ça marche pas. La famille, c'est tout ce qui compte vraiment. C'est la seule façon d'être vraiment « high » tout en étant à jeûn. Je m'ennuie du braillage, de mon bébé qui dégueule en plein milieu du centre d'achat, d'attendre comme une dinde dans la file au Mégaparc... Mais quand on le vit, on pense que c'est pour toujours, on est impatient, on s'emmerde... on est con. Mon royaume pour une couche pleine dans l'autobus!

- « Heye, avance! » Je me retourne et ne vois personne... Non! une grand-mère de 4 pieds 5 vient de me donner un coup de canne. Ne jamais contrarier une femme qui a faim... en fait, ne jamais contrarier une femme tout court. - « Pardon madame, voulez-vous passer avant moi? » Elle accepte l'offre mais tout son esti de club de l'âge d'or en profite... 12 à passer devant moi. J'aime mon amie Chantal mais là, y'a des limites! Pourquoi pas 2 œufs Mc Muffin dans le char? Non, reste Dan. Mais y'a pas grand chicks icitte...

Pourquoi? Comment ça? Kossé que j'câlisse ici?

Bon! Ç't'à mon tour. Je prends mon cabaret... - « Vous voulez vous tu du bacon? » me dit l'espèce de calleuse de bingo qui a l'air d'avoir un fun noir à déposer ces pauvres tranches de gras trans dans nos assiettes en styrofoam. - « des œufs? » La voix est différente, les yeux aussi. Je la connais elle. « Pis un petit café avec ça? » me dit-elle, le sourire en coin. Osti! La péteuse de la rue St-Joseph... est tu en pénitence? « Tu as posé un beau geste la semaine dernière. Il est rare de voir des gens faire ce que tu as fait pour ce vieil homme. Je m'appelle Isabelle. » -  « Moi c'est euh... Dan! » de lui répondre le mâle en ruth que je suis devenu tout à coup. Est chick à mort! Si playboy faisait un spécial bénévolat, elle ferait la page centrale.

Évidemment, après le service, elle vient me parler. On jase. Isabelle est membre du personnel d'un centre pour sans abris de Québec. Une fille de contenu et de causes! Je lui sort le baratin de l'alter-mondialiste indigné... sérieux, faut que je la pogne! Mais chu un gars de valeurs... Arrêtez de penser que je veux juste la... Oh! Ma chum Chantal qui arrive. - « Daaaaaaaaaniel!!!! » Ça, ça vaut 1 million de dollars! « Isabelle, je te présente mon ami Dan. Un gars exceptionnel, formidable, généreux et WOW! » Écoute, après ça j'ai juste à me pavaner pis à va me sauter dessus! Elle me regarde avec ces yeux... ceux qui nous admirent, qui nous placent plus haut que haut... ceux qui nous ouvrent leur moelleuse couette en duvet!

- « Aimerais tu aller prendre un café? J'aimerais te connaître davantage » Merci Chantal!!!!!! On se donne déjà rendez-vous. Une chick comme ça, c'est comme le titre d'Apple à la bourse. Take the money and run!!! Pis Isabelle, elle m'en fera courir un coup je pense...

Les premières rencontres se déroulent sans anicroches. Je sais que cette chick est une long shot. On baisera pas tout de suite mais elle en vaut la peine. Osti, en plus, elle aime Woody Allen. Je suis comblé!!!

- «Dan, on pourra pas se voir ce samedi. Je suis en rencontre avec 3 sans abris. Je leur apprends à sortir raisonnablement, à prendre soin d'eux... mais dis donc, voudrais tu les rencontrer? » me dit-elle avec le ton de la fille accro au point de passer le reste de ses jour avec sa nouvelle flamme. J'accepte avec plaisir. Je me sens utile, je veux changer le monde, le débarrasser de ses préjugés... I have a dream calisse!!!! On se donne donc rendez-vous au bar Le Dauphin sur la rue du Pont, la ruche des vrais brosseux à Québec.

13 heures tapant et me voilà entré dans cet univers unique où les tables sont déjà inondées de grosses bières et où, malgré que depuis des années, on ne peut plus fumer dans les bars, les murs sont imprégnés d'une odeur de tabac qu'aucun produit, si puissant soit-il, ne pourrait chasser. Dans cette jungle de désespoir, un regard passionné me pointe. Elle est là, assise à discuter avec 3 hommes dans la cinquantaine. - « Dan, je te présente Roger, Serge et Gaetan » - « Salut man! » de me dire à l'unisson les 3 SDF. - « Bonjour à vous, mes champions! » Bon... Je pense que j'en ai mis un peu là. Je me rappelle de ce qu'Isabelle m'a dit - « Surtout pas de condescendance. On se met à leur niveau, à leur écoute. On va sur leur terrain. C'est la seule façon de les emmener sur le nôtre » - « Oh, euh... Yeah Man! » dis-je en leur donnant chacun une poignée de main de motté. Je pense qu'ils m'aiment bien.

Soudainement, on entend un « BIP! » C'est le téléavertisseur d'Isabelle. - « J'ai un bénéficiaire en crise. Je dois m'absenter un moment. Désolé les gars » - « Isabelle, si tu veux, je peux rester et on t'attendra » - « Wow! Tu ferais ça? T'es ben fin! » Elle membrasse et je lui chuchotte à l'oreille - « T'inquiètes, à leur niveau et à leur écoute » Je reçois un baiser qui en dit long sur ce que sera ma soirée et peut-être bien ma nuit!

Y'a un organiste qui chante avec un petit beat de drum cheap. Y joue un cha cha, un continental, un country, un disco. Le monde est sur le party.

- « Isa à nous a dit que tu jouais dans UNE orchessse. T'es tu guitarissse ou ben bâssissse? » de demander Roger. - « Chu euh... bassiste, euh bâssissse! » - « Moué, j'étas cé bateaux. La compagnie a faite faillite ça fa 10 ans pis là, ben, ma femme à m'a câlissé là, ma fille me parle pus... » Osti, c'est toffe. Je veux les réconforter. Les 3 ont une histoire de fou, des drames qu'ils n'ont pu gérer. Je leur paye une bière... - « Toé t'es t'un chum »... C'était tu une bonne idée de laisser ma carte de crédit au bar? En tout cas, on a du fun! Pas de condescendance, je me mets – hips! - à leur niveau...

Ça fait 3 grosses chaque qu'on boit pis je m'en viens pas mal gorlot. Là, le chanteur prend la parole. - « On a une vedette lôcale icitte, y s'appelle Dan! Pis le nom de son orchesse, c'est Maskinongé! Viens nous pousser une toune! » Calvaire! Pourquoi chu une célébrité tout le temps quand ça compte pas? Ça applaudit, ça crie. Je me lève et monte sur la minuscule scène chambranlante. Même les hypnotisés des machines à poker prennent 2 secondes pour me regarder. Bon, j'ai 4 grosses bières de prises... Y part « Laisse moi t'aimer » Ah ben, y'a une boule miroir mais une chance, pas d'ours! (épisode BrokeTrapp Mountain) Y'a deux madames qui me déshabillent des yeux. Mal maquillées avec les deux un top en léopard moulant qui retient de toute évidence des seins qui ont perdu la bataille de la gravité.

- « Enweye! UN autre chanson » Je suis la vedette de l'après-midi. Mais là, j'ai fait « Monsieur Cannibale », « La dame en bleu », « Dans ma camaro ». - « Fa nous une toune de Roye Ongrisson » Roy Orbison est bien le seul artiste que ses fans sont incapables de nommer correctement au Québec. Je pars « You Got It » Osti, je reçois une paire de bobettes dans face... léopard comme le reste... Mais chu responsable car je jette un œil sur mes... Crisse! Y'a au moins 20 bouteilles sur leur table... 2 dorment pis l'autre vomit à coté de sa chaise... Je descend de scène ou plutôt pique une esti de débarque... Pis c'est pas comme les show où on fait du body surfing BANG! À terre. La grosse me saute dessus. « T'é ti correct mon beau? J'pense que ça va y prende e'l bouche à bouche » Je vois sa grosse face poudrée s'approcher aaaark!!!!!!! - « ÇA SUFFIT!!!!! »

C'est Isabelle. Tout le monde est arrêté. On a tous peur un peu mais moi un peu plus... « Je te confie des gens 2 heures et c'est tout ce que tu trouves à faire? Les saouler et t'envoyer la première venue? » M'envoyer quoi?... ah c'est vrai, la bonnefemme sur moi. À se lève en ramassant ses bobettes à terre... c'est vraiment chic.

- « Isabelle, c'est pas totalement ce que tu crois, je... tsé je... » - « Va te faire foutre! Trouduc. Et vous 3, vous vous trouverez quelqu'un d'autre! »

Ça fait maintenant un mois de ça. Roger, Serge et Gaetan on des emplois et vivent en colocs dans un 5 et demi à Limoilou. Je m'en suis occupé pis les jeudis à 5 heures, on se voit au Dauphin mais on boit de la .5. J'ai longtemps espéré qu'Isabelle voit le résultat de mon rachat mais elle a changé de domaine. Est rendue représentante Tupperware pis ma chum Chantal, ben à me parle plus...

Mais j'ai pas tout perdu. On m'a déclaré grand vainqueur du concours d'imitation de Sacha Distel et je dois justement vous laisser car je dois aller leur chanter « Où sont passé les tuyaux... »

À plus!

Le Chien Perdu












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