Je marche dans une grande pièce. C'est
un musée. Le plancher de marbre italien glace littéralement mes
pieds nus. Je les vois toutes, affichées sur les murs. Elles sont
peintes par Gauguin. Isabelle, Julie, Marie, Valérie, m'observant
avec ce regard qui hypnotise... mais la lueur au bout du couloir est
plus intense. J'y arrive et j'aperçois la Vénus de Milo, entourée
d'un périmètre de sécurité, vous savez, ces bandelettes jaunes
avec écrit « Danger » en noir? L'attraction est trop
forte. Je fais fi des avertissements et je tasse ce ruban, du moins,
j'essaie. Mes pieds deviennent lourd et je ne peux plus... Fuck! J'ai
plus de bras!!! Je suis pétrifié et devant moi, Vénus est libérée
de son socle et, tiens donc, elle m'envoie la main! Elle part en
courant et en éclatant de rire, suivie par mes ex, libérées de
leur tableau. La lumière s'éteint, je tente de crier mais rien ne
sort ni ne s'entend. J'ai l'impression d'être un citoyen de Pompéi,
dont la détresse est assourdie par la lave qui le recouvre.
J'ouvre les yeux. Je suis détrempé.
Je savais bien que c'était pas réel mais j'avais hâte que ça se
termine. Est-ce que je rêve encore là? Car je suis au bureau... Non
je ne rêve plus. Je suis vraiment au bureau. Le problème, c'est que
Dan ne dort plus. La nuit est devenue mon ennemie. Mon lit est vide
et je crois qu'il y a pire que la routine en couple : la routine
seul. Ça va faire bientôt 2 ans que je n'ai pas eu de relation
solide et sérieuse et Noël s'en vient. J'ai pas encore succombé à
la télé donc j'essaie de m'occuper mais je sors beaucoup moins
aussi, donc c'est le jour de la marmotte à toutes les esti de
journées! J'ai mon carnet de tâches... faire sortir le chien, vider
la litière, mettre mon statut Facebook à jour, sortir le chien,
vider le lave-vaisselle, remplir le lave-vaisselle, vider la litière,
passer la balayeuse... alouette!
Tous ces trucs n'étaient
qu'accessoires pour moi avant. Je considérait ça comme le fait de
transporter mon ampli ou de faire un test de son avant un show.
C'était un mal nécessaire mais la récompense, c'était le
spectacle. Là, une fois le travail accompli, y'a pas de show. Que
des pièces vides où je ne sens que mon parfum. Je l'ai tu encore
une fois l'osti de blues des fêtes? Tabarnak!
Mon téléphone sonne. C'est Angélique
DuBruton, la journaliste culturelle de l'hebdo pédant Matuvu. Kossé
qu'à veut elle, crisse? « Bonjour Dan! Ça va? » Voyons
donc, calisse. Elle a jamais retourné un de mes foutus courriels qui
annonçait mes shows depuis plus de 5 ans. « On organise une
soirée où plusieurs gens des médias offriront une prestation
musicale pour venir en aide à Centraide. J'ai vu que tu avais une
chanson de Noël. J'aimerais en parler avec toi. Sacrilège à 20h ce
soir? » - « Euh... oui! » lui dis-je, tel un
lévrier qui répond illico au signal de départ sur la piste. On a
beau les mépriser les scribes, ils ont tellement de pouvoir qu'on
leur lèche les bottes, même si elles ont marché dans la bouse de
vache.
Même si à m'énarve, est quand même
roulée l'Angélique. Je la vois au fond du bar lisant probablement
pour la 100e fois Georges Sand. Superficielle ou pas, sa
formule marche. Elle a tous les gars à ses pieds. Moi, ça
m'impressionne pas. Je résisterai toujours à ce genre de... -
« Allo Dan » Osti! Je craque! Ses yeux bleu de mer avec
des petites lunettes d'intello au bout d'un nez parfait. Assez
fashion, assez grano, assez coquette... assez!!!!! Je prends sur moi.
- « Ouais » Depuis quand je dis ouais moi? « Ça
va? » - « Assieds toi à côté de moi, on s'entend pas
parler ce soir » me dit-elle d'un ton plus aguichant que
n'importe quelle pétasse qui annonce une ligne 1-976. Pis un ancien
banc d'église, ça n'a aucune limite en ce qui concerne les
rapprochements... chu loin de la litière à chat là!
« Écoute, je passerai pas par
quatre chemins. J'ai décidée de me lancer dans la chanson. Je suis
un genre Carla Bruni mais meilleure, tu vois? » Complexée la
madame! « Et tu seras mon guitariste accompagnateur » me
dit elle la main à ma mi-cuisse. « Tu vas aussi réaliser mon
premier simple dans ton studio. Pis en échange, tu seras le dernier
artiste à jouer à notre spécial de Noël qui sera, je te le
rappelle, télévisé! Pis si t'es gentil, t'auras peut-être plus »
Là est à 2 pouces de ma face. Osti qu'j'à frencherais!
Je sais pas pourquoi là, mais
j'acquiesse calisse. Je le sais pourquoi... me faire m... ou s... en
me faisant parler de Georges Sand, c'est ça qui m'intéresse... pis
une prestation télé au fond, ça pourrait me donner un sérieux
break.
Non non, chu pas dans une pièce de
Ionesco, chu entrain de m'envoyer en l'air mais c'est tout comme...
Y'a des limites à se la jouer là. Je n'ai jamais entendu un nombre
aussi incroyable de « je » de « me » et de
« moi ». « Ah Dan, Ahh, ahh, brr ! Non, ça n’est
pas ça ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! Non, non, ce
n’es pas ça, que c’est faible, comme cela manque de vigueur ! Je
n’arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les
hurlements ne sont pas des barrissements!!! (Eugène Ionesco,
Rhinocéros) » Vite le dernier acte ou ben calisse, une
entracte mais de quoi esti!
On est assis dans le lit, un à côté
de l'autre. Elle grille une clope. On se croirait dans un film tant
y'a de miroirs dans sa chambre. « C'était bien. T'es quand
même un peu cérébral pour un gars qui fait de la pop. C'est pas de
ma faute si je m'impose, désolée, en fait, c'est quand je suis
avec plus faible que moi. J'ai horreur du vide intellectuel »
Osti! Le pire c'est qu'elle a raison la tabarnak. Des courbettes pour
un cul racing, de la soumission pour quelqu'un qui apprend des choses
par cœur, qui a la logique de l'air du temps ou des classiques mais
rien d'auto-généré par elle. Elle ne fait que réflèter les
autres. - « Je comprends, je t'ai trouvée super intense
Angélique » Ah oui, je vous l'avais tu dit que Dan, c'est un
con?
Nous voilà dans mon studio. Je sais,
j'aurais pas dû acheter les sushis à 45$ mais bon, j'ai toujours
rêvé de faire ça avec une journaliste culturelle là où je crée
qu'elle voit à quel point je suis un pro... créateur LOL! - « Là,
ça va pas du tout. L'air est sec ici. Ma gorge. Sais tu combien ça
va valoir un jour cette voix? Allez, de l'eau, pas du robinet, en
bouteille et européenne mais pas Evian, c'est ringard Evian »
Je suis révolté mais je me sens tellement hot d'être avec elle.
Bon, elle a fait croire à tous ses amis de Matuvu qu'elle était en
weekend de ressourcement chez sa mère mais je me dis qu'un jour,
elle osera peut-être s'afficher avec moi. Chu pathétique. Oui mais
c'est Angélique DuBruton. C'est comme la fille à Québec qui avait
trompé son chum et qui avait eu pour seule excuse qu'elle ne pouvait
pas passer à côté de ce gars-là. C'était quand même Tony Twist
des Nordiques...LOL! J'ai beau mépriser l'élite, on veut tous en
faire partie à un moment donné. On est tous de sales putes.
Osti de chansonnette poche.
L'instrumental est fait, le chant maintenant. « Loin de l'ocre
des sanguines, mes mots ne font que dépérir, faisant fi des
lézardines, ta longue corne me fait barrir » Kessé ça
calvaire? Osti qu'à chante mal. Je vais être obligé de la
convaincre de faire du rap, je pense. Mais là, je tombe dans le
pattern du réalisateur qui lui dit à quel point elle est bonne...
mais qui omet de mentionner que c'est ailleurs que dans le studio
qu'elle l'est. « Ah Dan, faut que je prenne un break. Je suis
trop intense là! Ça va reléguer ta guitare aux oubliettes »
Heye là!!!!! « Prends moi pour décompresser » - « Tout
ce que tu veux Angélique... »
C'est le jour du show. Bon, je sais,
j'ai évidemment fourni les amplis pour tous les artistes, je pouvais
pas dire non au moment où elle me les a demandés. WOW! Les caméras de
TVA. C'est mon pote Luc qui filme. J'aperçois le programme de la
soirée... je joue à... 2h du matin?!? Ouin... Ah pis TVA filme
juste Angélique... Après, y décrissent... OK. Je la vois donner
son entrevue. « Oui, Rhinos Eros, c'est ma création inspirée
de Ionesco. J'ai tout fait, même l'enregistrement, la guitare et
tout » Osti de mange marde! Elle comprend mon regard. Je tourne
les talons avec mes amplis.
Je rentre chez moi et j'allume la télé
pour la voir se planter la petite mégère. Ben non, à se plante
pas. À fait du lipsync sur la toune que j'y ai faite gratos... ou
presque. Elle m'envoie un texto : « T'es un lâcheur, tu
sais pas ce que c'est un vrai projet professionnel! Pas de place pour
les porteurs d'eau sous le projecteur, c'est simple non? Continue
d'échouer espèce de créateur de POP infecte! Pis au lit,
franchement, tu devrais peut-être envisager une carrière solo »
Me v'la baisé mur à mur.
J'ouvre le journal ce matin...
Angélique Dubruton, récipiendaire de la bourse Carole Laure pour sa
contribution exceptionnelle à métisser deux formes d'art... 75 000$
C'est assez là!
À plus
Le Chien Perdu
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