samedi 8 décembre 2012

La Diva


Je marche dans une grande pièce. C'est un musée. Le plancher de marbre italien glace littéralement mes pieds nus. Je les vois toutes, affichées sur les murs. Elles sont peintes par Gauguin. Isabelle, Julie, Marie, Valérie, m'observant avec ce regard qui hypnotise... mais la lueur au bout du couloir est plus intense. J'y arrive et j'aperçois la Vénus de Milo, entourée d'un périmètre de sécurité, vous savez, ces bandelettes jaunes avec écrit « Danger » en noir? L'attraction est trop forte. Je fais fi des avertissements et je tasse ce ruban, du moins, j'essaie. Mes pieds deviennent lourd et je ne peux plus... Fuck! J'ai plus de bras!!! Je suis pétrifié et devant moi, Vénus est libérée de son socle et, tiens donc, elle m'envoie la main! Elle part en courant et en éclatant de rire, suivie par mes ex, libérées de leur tableau. La lumière s'éteint, je tente de crier mais rien ne sort ni ne s'entend. J'ai l'impression d'être un citoyen de Pompéi, dont la détresse est assourdie par la lave qui le recouvre.

J'ouvre les yeux. Je suis détrempé. Je savais bien que c'était pas réel mais j'avais hâte que ça se termine. Est-ce que je rêve encore là? Car je suis au bureau... Non je ne rêve plus. Je suis vraiment au bureau. Le problème, c'est que Dan ne dort plus. La nuit est devenue mon ennemie. Mon lit est vide et je crois qu'il y a pire que la routine en couple : la routine seul. Ça va faire bientôt 2 ans que je n'ai pas eu de relation solide et sérieuse et Noël s'en vient. J'ai pas encore succombé à la télé donc j'essaie de m'occuper mais je sors beaucoup moins aussi, donc c'est le jour de la marmotte à toutes les esti de journées! J'ai mon carnet de tâches... faire sortir le chien, vider la litière, mettre mon statut Facebook à jour, sortir le chien, vider le lave-vaisselle, remplir le lave-vaisselle, vider la litière, passer la balayeuse... alouette!

Tous ces trucs n'étaient qu'accessoires pour moi avant. Je considérait ça comme le fait de transporter mon ampli ou de faire un test de son avant un show. C'était un mal nécessaire mais la récompense, c'était le spectacle. Là, une fois le travail accompli, y'a pas de show. Que des pièces vides où je ne sens que mon parfum. Je l'ai tu encore une fois l'osti de blues des fêtes? Tabarnak!

Mon téléphone sonne. C'est Angélique DuBruton, la journaliste culturelle de l'hebdo pédant Matuvu. Kossé qu'à veut elle, crisse? « Bonjour Dan! Ça va? » Voyons donc, calisse. Elle a jamais retourné un de mes foutus courriels qui annonçait mes shows depuis plus de 5 ans. « On organise une soirée où plusieurs gens des médias offriront une prestation musicale pour venir en aide à Centraide. J'ai vu que tu avais une chanson de Noël. J'aimerais en parler avec toi. Sacrilège à 20h ce soir? » - « Euh... oui! » lui dis-je, tel un lévrier qui répond illico au signal de départ sur la piste. On a beau les mépriser les scribes, ils ont tellement de pouvoir qu'on leur lèche les bottes, même si elles ont marché dans la bouse de vache.

Même si à m'énarve, est quand même roulée l'Angélique. Je la vois au fond du bar lisant probablement pour la 100e fois Georges Sand. Superficielle ou pas, sa formule marche. Elle a tous les gars à ses pieds. Moi, ça m'impressionne pas. Je résisterai toujours à ce genre de... - « Allo Dan » Osti! Je craque! Ses yeux bleu de mer avec des petites lunettes d'intello au bout d'un nez parfait. Assez fashion, assez grano, assez coquette... assez!!!!! Je prends sur moi. - « Ouais » Depuis quand je dis ouais moi? « Ça va? » - « Assieds toi à côté de moi, on s'entend pas parler ce soir » me dit-elle d'un ton plus aguichant que n'importe quelle pétasse qui annonce une ligne 1-976. Pis un ancien banc d'église, ça n'a aucune limite en ce qui concerne les rapprochements... chu loin de la litière à chat là!

« Écoute, je passerai pas par quatre chemins. J'ai décidée de me lancer dans la chanson. Je suis un genre Carla Bruni mais meilleure, tu vois? » Complexée la madame! « Et tu seras mon guitariste accompagnateur » me dit elle la main à ma mi-cuisse. « Tu vas aussi réaliser mon premier simple dans ton studio. Pis en échange, tu seras le dernier artiste à jouer à notre spécial de Noël qui sera, je te le rappelle, télévisé! Pis si t'es gentil, t'auras peut-être plus » Là est à 2 pouces de ma face. Osti qu'j'à frencherais!

Je sais pas pourquoi là, mais j'acquiesse calisse. Je le sais pourquoi... me faire m... ou s... en me faisant parler de Georges Sand, c'est ça qui m'intéresse... pis une prestation télé au fond, ça pourrait me donner un sérieux break.

Non non, chu pas dans une pièce de Ionesco, chu entrain de m'envoyer en l'air mais c'est tout comme... Y'a des limites à se la jouer là. Je n'ai jamais entendu un nombre aussi incroyable de « je » de « me » et de « moi ». «  Ah Dan, Ahh, ahh, brr ! Non, ça n’est pas ça ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! Non, non, ce n’es pas ça, que c’est faible, comme cela manque de vigueur ! Je n’arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les hurlements ne sont pas des barrissements!!! (Eugène Ionesco, Rhinocéros) » Vite le dernier acte ou ben calisse, une entracte mais de quoi esti!

On est assis dans le lit, un à côté de l'autre. Elle grille une clope. On se croirait dans un film tant y'a de miroirs dans sa chambre. « C'était bien. T'es quand même un peu cérébral pour un gars qui fait de la pop. C'est pas de ma faute si je m'impose, désolée, en fait, c'est quand je suis avec plus faible que moi. J'ai horreur du vide intellectuel » Osti! Le pire c'est qu'elle a raison la tabarnak. Des courbettes pour un cul racing, de la soumission pour quelqu'un qui apprend des choses par cœur, qui a la logique de l'air du temps ou des classiques mais rien d'auto-généré par elle. Elle ne fait que réflèter les autres. - « Je comprends, je t'ai trouvée super intense Angélique » Ah oui, je vous l'avais tu dit que Dan, c'est un con?

Nous voilà dans mon studio. Je sais, j'aurais pas dû acheter les sushis à 45$ mais bon, j'ai toujours rêvé de faire ça avec une journaliste culturelle là où je crée qu'elle voit à quel point je suis un pro... créateur LOL! - « Là, ça va pas du tout. L'air est sec ici. Ma gorge. Sais tu combien ça va valoir un jour cette voix? Allez, de l'eau, pas du robinet, en bouteille et européenne mais pas Evian, c'est ringard Evian » Je suis révolté mais je me sens tellement hot d'être avec elle. Bon, elle a fait croire à tous ses amis de Matuvu qu'elle était en weekend de ressourcement chez sa mère mais je me dis qu'un jour, elle osera peut-être s'afficher avec moi. Chu pathétique. Oui mais c'est Angélique DuBruton. C'est comme la fille à Québec qui avait trompé son chum et qui avait eu pour seule excuse qu'elle ne pouvait pas passer à côté de ce gars-là. C'était quand même Tony Twist des Nordiques...LOL! J'ai beau mépriser l'élite, on veut tous en faire partie à un moment donné. On est tous de sales putes.

Osti de chansonnette poche. L'instrumental est fait, le chant maintenant. « Loin de l'ocre des sanguines, mes mots ne font que dépérir, faisant fi des lézardines, ta longue corne me fait barrir » Kessé ça calvaire? Osti qu'à chante mal. Je vais être obligé de la convaincre de faire du rap, je pense. Mais là, je tombe dans le pattern du réalisateur qui lui dit à quel point elle est bonne... mais qui omet de mentionner que c'est ailleurs que dans le studio qu'elle l'est. « Ah Dan, faut que je prenne un break. Je suis trop intense là! Ça va reléguer ta guitare aux oubliettes » Heye là!!!!! « Prends moi pour décompresser » - « Tout ce que tu veux Angélique... »

C'est le jour du show. Bon, je sais, j'ai évidemment fourni les amplis pour tous les artistes, je pouvais pas dire non au moment où elle me les a demandés. WOW! Les caméras de TVA. C'est mon pote Luc qui filme. J'aperçois le programme de la soirée... je joue à... 2h du matin?!? Ouin... Ah pis TVA filme juste Angélique... Après, y décrissent... OK. Je la vois donner son entrevue. « Oui, Rhinos Eros, c'est ma création inspirée de Ionesco. J'ai tout fait, même l'enregistrement, la guitare et tout » Osti de mange marde! Elle comprend mon regard. Je tourne les talons avec mes amplis.

Je rentre chez moi et j'allume la télé pour la voir se planter la petite mégère. Ben non, à se plante pas. À fait du lipsync sur la toune que j'y ai faite gratos... ou presque. Elle m'envoie un texto : « T'es un lâcheur, tu sais pas ce que c'est un vrai projet professionnel! Pas de place pour les porteurs d'eau sous le projecteur, c'est simple non? Continue d'échouer espèce de créateur de POP infecte! Pis au lit, franchement, tu devrais peut-être envisager une carrière solo »

Me v'la baisé mur à mur.

J'ouvre le journal ce matin... Angélique Dubruton, récipiendaire de la bourse Carole Laure pour sa contribution exceptionnelle à métisser deux formes d'art... 75 000$

C'est assez là!


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Le Chien Perdu




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