Je monte la côte toute verdoyante qui
mène en haut de ce roc, surplombant la mer à perte de vue. C'est le
soleil qui se couche et le ciel a mis son beau manteau rose-orangé
pour l'accueillir. Je rêve, je le sais. Je connais cet endroit car
c'est là que j'ai vu mon ami Dan pour la toute dernière fois. Quand
des proches meurent, c'est bizarre, je rêve à eux une seule fois et
après c'est fini. Plus de nouvelles. C'est quand même fin de leur
part de payer une ultime visite à mon subconscient avant de partir
pour de bon;-)
Elle se tient en haut de la montagne,
d'une blanche robe vêtue...Stella a toujours le même air. « Je
savais bien que tu finirais par te taper ma bonne, petit pervers »
me lance-t-elle, tournant son regard dans ma direction. « Vous
auriez pu au moins faire attention! Cette table de cuisine valait
très cher...une antiquité de 200 ans... » Bon, ça a joué
dur un peu, j'en conviens...mais maudit, ni Gisèle ni moi n'étions
capables d'aller dans une des chambres à coucher dont les commodes
et les murs étaient décorés de vieilles photos de Stella et de
John D. Price. La table qui semblait pourtant solide, nous a remis sa
démission au moment ultime...de toute beauté ou comment passer de
« L'Amant de Lady Chaterley » à « Benny Hill »
en un instant. Dans la panique, j'ai maladroitement réparé le tout
avec une perceuse pis des vieilles vis à gyproc qui traînaient dans
un tout aussi vieil atelier situé dans une cave au sol terreux.
Morte de peur dans ce sombre endroit, Gisèle m'a sauté au cou
pis...ben on a remis ça! Disons que l'établi est plus solide un
peu...
- « Merci pour tout Stella, ça
m'a vraiment beaucoup apporté de te connaître et je m'excuse encore
pour la table... » lui dis-je, la gorge nouée par ces adieux
auxquels on ne s'habitue pas, même dans les rêves. - « Comment
ça, adieu? Je m'en vais pas! Je peux pas te laisser seul, pas tout
de suite...t'es encore trop con! Si je pars, tu vas finir vieux
garçon! Je n'aurai de repos tant que tu n'auras pas trouvé la
perle rare ». Je regarde au sol... « Je le sais que tu
penses à Sophie, jeune blanc bec. Dis toi ben que t'as des croûtes
à manger avant de la reconquérir. Bon, je file...je me suis fait un
amant dans les limbes LOL! À Bientôt!» me dit-elle en s'envolant
au loin.
Mon visage est collé sur mon épaule
qui, elle, est encore imprégnée du parfum de Gisèle qui n'a pas
dormi ici. « Trop dur de revoir Ali avant mon départ»
m'a-t-elle expliqué. Je peux finalement me compter chanceux qu'elle
ait au moins mis la switch « animal » à off une petite
heure... malgré que peut-être pas...je suis un chien perdu après
tout;-) Elle m'a fait cadeau d'un souvenir : le chandail de son
ex qui jouait pour les Foreurs de Val D'Or...what the fuck? Je lui ai
promis en retour de lui envoyer chaque photo que j'ai du chien par
courriel. On se sent quand même bien le lendemain d'une partie de
jambes en l'air. La confiance est revenue pis tsé... on préfère se
dire qu'on l'a fait en 2012 en janvier plutôt qu'en décembre,
n'est-ce pas? LOL!
Le téléphone sonne. « Daniel,
c'est mon'oncle! Écoute, chu un peu mal à l'aise de te demander ça
mais viendrais tu m'aider à faire l'épicerie? J'ai glissé hier au
cimetière pis je vais avoir du trouble à transporter mes sacs ».
- « Ben correct mon'oncle, je vais être là dans une heure ».
Hop! J'avale une toast, prends une douche et me voilà assis dans ma
voiture. Je n'ai même pas eu le temps de regarder le journal...qui
titrait : Étrange miracle à Saint-Romuald...
Je suis efficace en crisse, me v'la
avec 30 minutes d'avance chez mon'oncle. Je me sens vraiment bien car
le mâle en moi est repu! Je suis en mode performance! Comme quoi des
fois, c'est à croire que le moral nous pend au bout de la...;-)
« Pressons nous pas Dan, on a tout le temps » me dit-il.
- « mais pas moi donc si ça te dérange pas, on part OK? »
Il semble un peu contrarié mais il accepte. Nous voilà rendus au
IGA, une de ces belles nouvelles méga épiceries où l'on peut
pratiquement magasiner sa télé au plasma pis ses meubles de
patio... J'ai toujours dit que l'économie s'était mise à mal aller
la journée où Jean Coutu s'est mis à vendre du Ketchup... pis pour
les punir, le bon Dieu a inventé les pharmacies dans les Wal-Mart
LOL!
On choisit un panier pis y'a l'air pas
mal nerveux. Ça doit être la débarque qu'il a pogné...j'avoue que
de se retrouver à l'horizontale dans un cimetière, ça doit
traumatiser un peu, surtout à 85 ans. « Pis toi mon'oncle,
toujours célibataire? » - « Ouin... C'est dur mon Dan.
Elles veulent que je les sorte au restaurant pis au cinéma mais pas
question de me laisser aller en dessous leur jupon viarge! Dis toi
une chose le jeune, le grand problème dans le monde, c'est que nous
les hommes, on se tannera jamais du cul pis les femmes, elles, elles
se tanneront jamais de l'argent. Y'a pas d'issue le kid » me
dit-il en mettant sa dixième boîte de Kraft Dinner dans son panier.
« Calisse, y'a pus de All-Bran! La semaine va être toffe! »
- « Ça veut dire qu'à ton âge mon'oncle, ça lève encore? »
- « Tu dis toi! C'est pas mêlant, quand chu debout, je peux
quasiment m'accoter dessus pour me reposer le dos (rires)... Mais
toi, kossé tu crisse tout seul? T'es encore pas pire pis maudit
chanceux, t'as des cheveux esti! » je souris... « Faut
dire que votre jeune génération, ça a l'air pas mal plus mélangé
que nous autres. Les couples étaient plus stables dans mon temps
mais fais toi en pas, c'est pas parce qu'on s'aimait plus que vous
autres. On avait juste peur d'aller en enfer, de plus voir nos
enfants ou ben de payer une esti de pension. Faque on endurait
pis quand on en avait assez, ben on se pognait la secrétaire pis
rien changeait à maison. Astheure, toi le jeune, avec les femmes qui
travaillent, t'as autant de chances de te retrouver cocu qu'elles.
Pis toi, y te crisseront pas là à cause de leur libido mais bien
parce que tu fera plus leur affaire...elles ne t'admireront plus...
J'aimerais pas ça être à ta place... » me dit-il en mettant
une boîte de biscuits Village dans le chariot... Voyons! Ça existe
encore ça des biscuits Village???
Je vois bien que mon'oncle, y file pas
tout seul. Je le regarde et je me vois, vieux grincheux comme lui
dans quelques années, la barbe mal faite parce qu'on voit plus
clair, le chou-fleur qui pousse dans les oreilles pis dans le
nez...pis quand y sent pas la transpiration du gars qui s'est pas
lavé depuis une semaine, c'est l'Antiphlogistine mélangé avec son
Aqua Velva qui deviennent sa signature olfactive. Ça me rappelle,
quand je me suis ramassé tout seul l'été passé, l'oncle d'un de
mes amis m'a dit pour m'encourager : « Maudit chanceux, te
voilà libre! Ta véritable existence commence! Dis toi que ce sont
juste les cinq premières années les pires, après, ça va super
bien... » C'est exactement là que je me suis mis à angoisser.
Est-ce que le Bowling, les promenades, jouer aux cartes, une revue de
cul esti pis Canal D peuvent vraiment remplacer une femme? Je regarde
autour pis des vieux grincheux, y'en a plein. Veufs, abandonnés ou
ben laittes à mort. Ils ont tous une histoire et des blessures mais
un gars, ça se plaint pas. Ça va manger son TV Dinner devant la
télé, dans une maison en désordre où le téléphone servira
uniquement pour se caller de la pizza, du St-Hubert ou ben pour
appeler l'ambulance si ça file pas.
Mais j'y dit pas tout à mon'oncle. Si
y savait que la plupart du temps, en couple, c'est moi qui fait à manger.
Si y savait que j'ai les larmes aux yeux quand je laisse mes petits
pour le weekend. Si y savait qu'y'a pas juste dans face que je me
rase crisse... Je sais qu'il aime pas Ricardo ou ben Joselito
Michaud. Pour lui, un gars qui va sur le terrain des émotions et de
la sensibilité, y peut juste être aux hommes ou ben capituler
devant les femmes... « Heye Dan, j'ai entendu dire qu'y'a des
gars se rasent ailleurs que dans face...des Métrosexuels qu'y
disent... » - « ah ouin? Je, je … ben je sais pas
là... » Ouf! me voilà sauvé par les cornichons en
spécial...là-dessus mon oncle pis moi, on a pas de conflit
générationnel. Moi, c'est pas mêlant, quand j'arrive dans l'allée
des pickles, c'est incontrôlable, je salive esti! Mon'oncle en prend
3 pots... Ça me fait penser, au Fou Bar sur St-Jean, y servent un
shooter de vodka avec un cornichon...ou ben à l'Archibald dans le
temps, y servaient des cornichons panés et frits...une recette de
Boston semble-t-il.
On arrive à la file pour la caisse. Je
vois mon'oncle sortir ses coupons soigneusement découpés le
dimanche précédent...pour un vieux garçon, le publi-sac, c'est un
événement dans la semaine... Je vois le camion des nouvelles dans
le stationnement...c'est Jeff le caméraman. Si y'est encore là à
ma sortie de l'épicerie, j'va aller y donner une bine...ça fait
longtemps qu'on est pas sortis...
Je sais pas ce qui se passe, mais je me
sens épié. Une main saisit mon bras. Je me retourne et j'ai droit
au regard transperçant d'une vieille dame qui hurle soudainement
« Alleluïaaaaaaaaaaaaaaa! » Là, tout le monde me
regarde sauf mon oncle qui lui, regarde à terre. Y'a tu honte ou ben
y'a de quoi à se reprocher crisse? La caméra rentre dans l'épicerie
pis à s'en vient vers moi... c'est quoi l'affaire crisse??????
À suivre...
Le Chien Perdu
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